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Cara Parisien

Une moralité fragile?



Pensez-vous être une personne avec de fortes morales? Le genre de personne qui interviendrait à la vue d’une démonstration d’islamophobie, de sexisme, d’homophobie, etc.? Et qu’en est-il du spécisme?


Le 22 juin 2015, une activiste du nom d’Anita Kranjc a donné de l’eau à des porcs qui étaient en route pour l’abattoir. Lorsque le camion était arrêté, elle passa le goulot de sa bouteille à travers une des petites ouvertures et versa de l’eau fraiche sur les museaux et dans les bouches ouvertes de quelques cochons assoiffés. La vidéo, filmée par Kranjc, montre les cochons haletant rapidement, les langues sorties et désespérés d’attraper quelques-unes des gouttes qui leur sont offertes par l’activiste. Quelles sont les répercussions de son acte de compassion? La dame de Toronto fait maintenant face à une amende de 5000 $ ou jusqu’à six mois de prison.


Cette affaire remet en question non seulement le principe que les animaux de ferme sont des biens sans droits, mais aussi le fait que le Canada a la plus faible législation encadrant son système de transport de bétail. Les règlementations canadiennes en vigueur datent des années 70. Les bovins peuvent être transportés pour 52 heures de suite, sans eau ni nourriture [1]. Pour les porcs et les poules, la durée maximale est de 40 heures [2]. En comparaison, le transport d’animaux de ferme aux États-Unis ne peut durer plus de 28 heures, après lesquelles on doit débarquer les animaux pour quelques heures [3]. En Europe, la durée maximale de transport est de 14 heures pour moutons et bovins, et 24 heures pour les cochons, s’ils ont de l’eau en tout temps [4]. Pire encore, les animaux n’ont aucune protection contre la chaleur et le froid extrêmes; que la température soit de 40 degrés ou de 40 °C sous zéro, les animaux seront transportés d’un point à l’autre dans leurs cages d’acier ou d’aluminium.


Pourquoi est-ce important? Bien sûr, il y a le fait que les animaux soient des êtres doués de sens et qu’ils ont la capacité de souffrir, mais je laisse ça de côté pour l’instant. D’après l’Agence canadienne de l’inspection des aliments, entre deux et trois millions d’animaux meurent en transport chaque année [5]. Pour une vache de 680 kg, cela équivaut à plus de 10 millions de litres d’eau utilisés, 100 kg de méthane libéré dans l’atmosphère, 44 000 livres de soya ou de maïs mangées – tout cela pour rien! Même sans considérer ces animaux qui périront en chemin vers l’abattoir plutôt qu’à l’abattoir lui-même, l’industrie de l’élevage est incontestablement l’une des plus gaspilleuses, dans le sens où le rendement en production de viande est sérieusement disproportionné à la baisse à côté du volume de ressources que nous y dédions. Une étude de l’Université Cornell a estimé que nous pouvions nourrir 800 millions de personnes avec les céréales que nous utilisions pour nourrir les animaux d’élevage [6]. Alors pourquoi est-ce que nous continuons d’appuyer des pratiques non seulement cruelles, mais aussi inefficaces et insoutenables, sans rien dire?


La majorité des gens se considèrent comme ayant de fortes morales. Personne ne cherche à tuer un animal pour le plaisir, à moins peut-être d’avoir des tendances psychopathes. La plupart ressentiront même un certain inconfort, voire un dédain, lorsqu’ils seront incités à réfléchir sur les cruelles réalités entourant les animaux d’élevage. Par contre, pour plusieurs, cela est insuffisant pour changer leurs habitudes alimentaires. Bref, d’un côté, on ne veut surtout pas encourager l’abus animal, mais lorsque vient le temps de remplir nos assiettes, il n’est pas question de renoncer au bacon et au fromage. Ces deux gestes sont incohérents. Le fait que nous soyons guidés par nos désirs gustatifs plutôt que notre morale et notre logique est inquiétant.


Bien sûr, nous ne pouvons pas blâmer ce phénomène sur nos habitudes alimentaires individuelles. Le but n’est surtout pas de condamner ces comportements personnels qui font partie de notre culture depuis toujours. L’objectif est de se demander si, en tant que société, notre culture ainsi que notre système législatif reflètent réellement les valeurs que nous prétendons avoir. Parce qu’un système qui permet la souffrance d’un groupe, bien que ce dernier soit animal, demeure un système susceptible de perpétrer ailleurs une telle souffrance.



1. Conseil national pour les soins aux animaux d’élevage. (2001). Code de pratiques recommandées pour le soin et la manipulation des animaux de ferme.

2. Conseil national pour les soins aux animaux d’élevage, préc.

3. Goding, H., & Raub, A. J. (1918). The 28-hour law regulating the interstate transportation of live stock: Its purpose, requirements, and enforcement. Washington, D.C.: U.S. Dept. of Agriculture.

4. Council Regulation (EC) No 1/2005 on the protection of animals during transport and related operations, 2005 OJ L 3

5. Fast Facts on Animal Transport in Canada. (2016). En ligne : http://www.hsi.org/world/canada/work/transport_slaughter/facts/animal_transport_fast_facts.html?referrer=https://www.google.ca/

6. Pimentel, D. (1997). Livestock Production: Energy Inputs and the Environment. Canadian Society of Animal Science, Proceedings. Canadian Society of Animal Science, Montreal, Quebec.


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