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Viviane Beauregard, du Comité Droit Autochtone

Favoriser l’autonomie chez les communautés autochtones...



En juin dernier, la Loi modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives en matière d’adoption et de communication de renseignements (ci-après « la nouvelle loi sur l’adoption ») a été adoptée. Cette nouvelle loi aura pour effet de mettre fin à l’application homogène des lois en matière d’adoption sur l’ensemble du territoire québécois. Pour les communautés autochtones, cela signifie que l’État québécois reconnaît finalement l’adoption coutumière, cette pratique qui se distingue de l’adoption plénière, notamment par le fait qu’elle ne vise pas à rompre un lien de filiation pour le remplacer.


Au Canada, l’adoption coutumière est pratiquée par les Inuit et les Premières Nations. Ceci étant, les pratiques varient d’une communauté à l’autre. Par exemple, chez les Inuit du Nunavik, on explique que cette pratique fait partie intégrante de leur culture et qu’elle repose principalement sur le don volontaire d’un enfant à un membre de la famille élargie [1]. L’ajout d’un lien de filiation plutôt que son remplacement vise à maintenir les liens de l’enfant avec ses parents d’origine, avec lesquels il entretient des contacts réguliers [2]. La pratique se caractérise par différentes formes allant d’un gardiennage temporaire à l’adoption permanente et s’inscrit « dans une vision holistique qui prend en compte l’intérêt de la famille, de la communauté et de la nation » [3]. Chez les Innus, les termes désignant les enfants adoptés, soit « ne kupaniem » (masculin) et « ne kupanishkuem » (féminin), signifient « un enfant que l’on garde temporairement » [4]. Toutefois, tout comme chez les Inuit, l’adoption peut également être permanente dépendamment de la situation vécue par chaque famille. Les raisons qui expliquent l’adoption coutumière d’un enfant peuvent également varier d’une communauté à une autre. Chez les Inuit, l’on considère notamment les difficultés familiales ou financières, une grossesse adolescente ou rapprochée, le désir de vouloir consoler un couple infertile, ou encore « une inégalité dans la distribution des genres au sein de la famille. » [5]


Les communautés autochtones revendiquent la reconnaissance de l’adoption coutumière depuis environ 35 ans au Québec. À cet effet, on explique que la réforme du Code civil du Québec en droit de la famille ainsi que l’adoption des différentes lois en matière d’adoption et de protection de la jeunesse au début des années 80 ont été néfastes pour les communautés autochtones [6]. Ces lois ont eu pour effet de remettre en question l’application des coutumes ancestrales en matière de filiation, en plus d’être une intrusion dans la gestion des familles autochtones [7]. Sébastien Grammond et Christianne Guay soutiennent pour leur part que l’application homogène de ces lois à l’ensemble du Québec est problématique dans la mesure où les enfants autochtones sont surreprésentés à toutes les étapes d’intervention de protection de la jeunesse [8]. Or, ces lois avaient pour effet pervers de placer les enfants autochtones dans des familles non-autochtones, poursuivant ainsi la même logique que celle des pensionnats : « Un enfant autochtone qui fait l’objet d’un placement n’est pas seulement retiré de sa famille, il est aussi privé d’accès à sa culture, à sa langue maternelle et à sa communauté. » [9] Les deux auteurs expliquent également que les juges québécois ont eu tendance à favoriser davantage le principe de l’intérêt de l’enfant plutôt que de reconnaître les pratiques de l’adoption coutumière [10]. Difficile de soutenir que le maintien de ce cadre législatif en matière d’adoption favorisait un véritable processus de réconciliation avec les Peuples autochtones.


Malgré cela, il faudra tout de même attendre de voir les différents effets que la nouvelle loi aura sur les différentes communautés autochtones. À la lecture des nouvelles dispositions qui seront prévues au Code de procédure civile, le Directeur de l’État civil devra considérer l’adoption coutumière autochtone s’il estime que cette mesure « est susceptible d’assurer l’intérêt de l’enfant et le respect de ses droits » [11]. Pour le moment, il est difficile de confirmer si le fait d’octroyer plus de pouvoir au Directeur de l’état civil en matière d’adoption coutumière aura pour effet de rompre avec le privilège accordé au principe d’intérêt de l’enfant dans la jurisprudence actuelle, tel que présenté par Sébastien Grammond et Christianne Guay.


Chose certaine, ce nouveau cadre législatif semble transformer des coutumes souples en règles rigides. En effet, les nouvelles dispositions envisagées pour le Code civil du Québec prévoient notamment que « l’autorité qui délivre un certificat d’adoption coutumière autochtone le notifie au Directeur de l’état civil dans les 30 jours de sa délivrance » [12]. Pourtant, il est connu que chez les Inuit, l’adoption coutumière « repose principalement sur une tradition orale et ne nécessite aucune intervention de l’État ou des tribunaux » [13]. En effet, on explique que la pratique se veut flexible et adaptée aux particularités de chaque situation. Pour les Innus, l’adoption coutumière se caractérise également par une très grande liberté laissée aux individus d’organiser leurs relations familiales comme ils l’entendent : « Tous les participants décrivent ces transferts comme un processus informel, sans papiers, qui découle d’une entente ou d’un consensus entre les parties intéressées » [14]. La nouvelle loi sur l’adoption aura donc certainement pour effet de transformer les différentes pratiques, alors que chaque communauté ou nation autochtone devra désigner une autorité compétente pour délivrer un certificat d’adoption coutumière [15]. Le Directeur de l’État civil reste l’entité québécoise qui devra surveiller la pratique dans les différentes communautés autochtones grâce à l’octroi de nouveaux pouvoirs discrétionnaires. Malgré qu’on l’on doive se réjouir de l’adoption de cette nouvelle loi, il reste difficile de dire que l’on rompt officiellement avec une pratique paternaliste; plutôt que de simplement reconnaître une pratique coutumière autochtone, on la réglemente!


[1] Béatrice Decaluwe et al., « L’adoption coutumière chez les Inuit du Nunavik : ses spécificités et conséquences sur le développement de l’enfant », (2016) 25 Enfance et familles autochtones, par. 20

[2] Id., par. 25

[3] Id., par. 12

[4] Sébastien Grammond et Christiane Guay, « Comprendre la normativité innue en matière d’adoption et de garde coutumière », (2016) 61 McGill Law Journal, p. 899

[5] Béatrice Decaluwe et al., préc., note 1, par. 14-15

[6] Anne Fournier, « L’adoption coutumière autochtone au Québec : quête de reconnaissance et dépassement du monisme juridique », (2011) 41 Revue générale de droit, p. 709-710

[7] Id.

[8] Sébastien Grammond et Christiane Guay, préc., note 4, p. 888

[9] Id., p. 899

[10] Id., p. 889

[11] Loi modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives en matière d’adoption et de communication de renseignements, projet de loi no. 113 (Sanctionné – 16 juin 2017), 1re session, 41e légis. (Qc), art. 61

[12] Id., art. 1

[13] Béatrice Decaluwe et al., préc., note 1, par. 13

[14] Sébastien Grammond et Christiane Guay, préc., note 4, p. 899

[15] Loi modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives en matière d’adoption et de communication de renseignements, préc., note 10, art. 7


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