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Bradley Wiseman, du Comité Droit autochtone

Joyeux 10e anniversaire à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones –


L’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (ci-après « la Déclaration ») fut un moment charnière dans la reconnaissance des droits des peuples autochtones à l’échelle internationale. La Déclaration, touchant quelque 370 millions d’Autochtones dans plus de 70 pays, a établi un cadre universel de « normes minimales nécessaires à la survie, à la dignité et au bien-être des peuples autochtones du monde » (1). Le 13 septembre 2017 a marqué le 10e anniversaire de son adoption, qui fut le fruit de décennies de consultations et de négociations. La Déclaration demeure, à ce jour, le document juridique le plus complet portant sur les droits fondamentaux des peuples autochtones en droit international, notamment par rapport à la reconnaissance des droits individuels et collectifs de nature politique, civique, économique, sociale, culturelle, spirituelle ainsi qu’environnementale.


À l’occasion du 10e anniversaire de la Déclaration, nous attendons encore l’adoption et la mise en œuvre complète de celle-ci au Canada. Dans un contexte où les facteurs socio-économiques séparant les Canadiens autochtones et non-autochtones demeurent graves, et à la suite de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada, il y a un besoin urgent et réel pour un cadre juridique qui permettrait la réconciliation et l’établissement d’une véritable relation de nation à nation avec les Autochtones. La Déclaration pourrait très certainement agir à titre de cadre juridique. À cet effet, le député cri Roméo Saganash a déclaré que « [l]es dispositions de la Déclaration des Nations Unies fournissent le cadre nécessaire à la réconciliation de nos peuples afin que le gouvernement actuel et ceux qui suivront puissent appliquer et interpréter les lois nationales et internationales en matière d’obligations légales concernant les droits des peuples autochtones » (2). L’importance de la Déclaration au processus de la réconciliation fut reconnue par la Commission de vérité et de réconciliation du Canada dans ses appels à l’action :


« 43. Nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de même qu’aux administrations municipales d’adopter et de mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans le cadre de la réconciliation.

44. Nous demandons au gouvernement du Canada d’élaborer un plan d’action et des stratégies de portée nationale de même que d’autres mesures concrètes pour atteindre les objectifs de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones » (3).


Parmi les dispositions de la Déclaration les plus pertinentes relatives à l’établissement d’une relation de nation à nation, notons l’article 3, qui reconnait le droit à l’autodétermination, et l’article 19, qui consacre le principe du consentement libre, préalable et éclairé. Ces deux articles, affirmant la souveraineté des peuples autochtones sur leurs territoires, sont particulièrement pertinents dans le contexte de la fédération canadienne où les gouvernements autochtones ne sont pas reconnus légalement en tant qu’ordres gouvernementaux. La souveraineté des peuples autochtones est affirmée davantage à l’article 26, qui prévoit que les peuples autochtones « ont le droit aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis », ainsi que le droit de « posséder, d’utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu’ils possèdent parce qu’ils leur appartiennent ou qu’ils les occupent ou les utilisent traditionnellement, ainsi que ceux qu’ils ont acquis ».


Lors de l’adoption de la Déclaration en 2007, le Canada était l’un des quatre États à refuser sa signature. À cette époque, le gouvernement Harper prétendait que certaines dispositions de la Déclaration étaient « fondamentalement incompatibles avec son cadre constitutionnel et que le texte ne [tenait] pas compte du nécessaire équilibre que le pays doit maintenir entre les droits des autochtones à l'égard des ressources et des terres et les droits des autres citoyens » (4). En mai 2010, le gouvernement Harper a finalement appuyé la Déclaration, mais avec certaines réserves : le gouvernement insistait sur le fait que la Déclaration n’était qu’un document d’aspirations dit idéaliste (« aspirational document » (5)) et soutenait que la Déclaration était inconciliable avec les lois canadiennes (6).


Une vague d’optimisme est survenue quant à la position du Canada à l’égard de la Déclaration au moment de la victoire électorale de Justin Trudeau en 2015. Lors de la campagne électorale, Trudeau avait promis qu’il allait « garantir aux communautés autochtones un droit de véto concernant le développement de ressources naturelles dans leurs territoires » (7), dans l’esprit de l’article 19 de la Déclaration. En novembre 2015, Trudeau a demandé à tous ses ministres de mettre en œuvre la Déclaration dans leurs lettres de mandat (8). Effectivement, la ministre des Affaires autochtones et du Nord, Carolyn Bennett, a annoncé, en mai 2016, que le Canada « appuie maintenant pleinement, et sans réserve, la déclaration » (9).


Toutefois, malgré la présence de ce discours public optimiste, l’approche du gouvernement Trudeau dans ses actions concrètes quant à la Déclaration reste difficile à différencier par rapport à celle des Conservateurs. Le gouvernement Trudeau est demeuré silencieux sur le projet de loi C-262 de Roméo Saganash, qui vise à s’assurer que les lois canadiennes respectent la Déclaration (10). En juin 2016, les Libéraux ont octroyé des permis afin de permettre la construction du barrage du Site C sur le territoire visé par le traité n° 8, sans le « consentement libre, préalable et éclairé » des Premières Nations de West Moberly et de Prophet River (11). De même, le gouvernement Trudeau a donné son approbation au projet de gaz naturel liquéfié Pacific NorthWest LNG ainsi qu’au projet d’oléoduc Trans Mountain de Kinder Morgan sans le consentement de toutes les Premières Nations affectées.


Alors que la ministre Bennett a indiqué aux Nations Unies que le Canada allait « appuyer la Déclaration sans réserve », son assertion selon laquelle la Déclaration serait adoptée et mise en œuvre « en conformité avec notre Constitution » (12) soulève des inquiétudes. La ministre Bennett a déclaré dans son discours aux Nations Unies que l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 demeure une disposition qui « reconnaît un large éventail de droits aux Autochtones » (“provides a full box of rights for Indigenous peoples”) et l’a caractérisé comme étant un cadre robuste (“robust framework”) pour la protection des droits autochtones (13). Selon la ministre, les obligations constitutionnelles du Canada découlant de l’article 35 répondent aux exigences des principes de la Déclaration, notamment par rapport au « consentement libre, préalable et éclairé » (« Canada believes that our constitutional obligations serve to fulfil all of the principles of the declaration, including “free, prior and informed consent” » (14)).


Cette déclaration est très éloignée de la réalité du paysage juridique au Canada. En effet, l’article 35 est fortement limité dans sa portée et ne reconnait que des droits issus de traités, des droits ancestraux ainsi que les titres ancestraux, auxquels la Cour suprême a attribué des critères très étroits (voir les arrêts Van der Peet (15) et Delgamuukw (16)). L’obligation de consulter qui découle de cet article témoigne d’un standard considérablement moins exigeant que celui du consentement prévu par la Déclaration. Effectivement, l’article 35 ne reconnait pas le droit à l’autodétermination des peuples autochtones ni le droit au consentement libre, préalable et éclairé. Il serait donc impossible d’appuyer la Déclaration pleinement et sans réserve, tant que cet appui demeurera confiné par le cadre de l’article 35. Plutôt que d’être limitées par la Constitution canadienne, les dispositions de la Déclaration devraient être ajoutées aux protections existantes afin de les enrichir.


Les lacunes des garanties constitutionnelles prévues à l’article 35 ainsi que le besoin pour une adoption et une mise en œuvre pleine et entière de la Déclaration furent récemment mis en évidence dans deux décisions de la Cour suprême rendues en juillet 2017 : Chippewas of the Thames First Nation c. Pipelines Enbridge inc. (17) et Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo-Services Inc (18). Il fut affirmé, suivant l’interprétation qu’a donnée la Cour à l’obligation de consulter découlant de l’article 35, que même face à l’opposition de la part d’une nation autochtone dont les droits sont brimés, un projet pourrait être approuvé et pourrait respecter les obligations constitutionnelles suivant une consultation jugée adéquate.


En terminant, soulignons que notre paysage juridique actuel n'est pas un environnement propice à l’établissement d’une relation de nation à nation. Afin de remplir nos obligations internationales et de réaliser la justice et la réconciliation avec les peuples autochtones du Canada, il faudrait que, dorénavant, la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones se fasse véritablement sans réserve et avec la pleine participation des peuples autochtones, puisque la Déclaration demeure un cadre permettant de corriger les injustices commises par le Canada. Avec ce nouveau cadre juridique, nous nous départirions de notre régime juridique colonial et cela nous permettrait de cheminer plus aisément vers une réconciliation réelle avec les peuples autochtones et vers l’établissement d’une relation de nation à nation.



Photo: Le chef de l'Assemblée des Premières Nations, Perry Bellegarde, lors de l'Instance permanente de l'ONU sur les questions autochtones, 25 avril 2017 Photo : Radio-Canada/Courtoisie de l'APN

1) Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, Rés. 61/295, Doc. off. A.G., 61e sess., suppl. n° 53, Doc. N.U. A/61/295 (2007), art. 43.

2) Roméo Saganash, Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones : 9 ans après son adoption aux Nations Unies, le temps est venu pour le Canada d’en faire également l’adoption et de voir à sa mise en œuvre. 13 septembre 2016, [en ligne] : http://romeosaganash.npd.ca/declaration-de-l-onu-sur-les-droits-des-peuples-autochtones-9-ans-apres-son-adoption-aux-nations-unies-le-temps-est-venu-pour-le-canada-d-en-faire-egalement-l-adoption-et-de-voir-a-sa-mise-en-oeuvr

3) « Appels à l’action », (2015), Commission de vérité et réconciliation du Canada, [en ligne] : http://www.trc.ca/websites/trcinstitution/File/2015/Findings/Calls_to_Action_French.pdf

4) « Ottawa boude la Déclaration de l’ONU », (2007), Radio-Canada, [en ligne] : http://beta.radio-canada.ca/nouvelle/366655/droits-autochtones

5) « Le discours du trône », Gouvernement du Canada, Ottawa, 3 mars 2010, [En ligne], https://lop.parl.ca/ParlInfo/Documents/ThroneSpeech/40-3-e.html (Page consultée le 12 septembre 2017)

6) « Ottawa appuie désormais sans restriction la Déclaration sur les droits des peuples autochtones”, (2016), Radio-Canada, [en ligne] : http://beta.radio-canada.ca/nouvelle/780651/droits-autochtones-nations-unies-carolyn-bennett

7) « Peuples autochtones », (2017), Trudeau Mètre, [en ligne] : https://trudeaumetre.polimeter.org/b/promise/6309

8) « Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones – l’appui du Canada à la déclaration», (2017), Affaires autochtones et du Nord Canada, [en ligne] :

9) Radio-Canada, préc., note 6.

10) PL C-262, Loi visant à assurer l’harmonie des lois fédérales avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, 1e sess, 42e lég, Canada, 2016 (dépôt et première lecture le 21 avril 2016). http://www.parl.ca/LegisInfo/BillDetails.aspx?Mode=1&billId=8160636&Language=F

11) Betsy TRUMPENER, « Trudeau government signals support for Site C dam, grants two permits », (2016), CBC News, [en ligne] : http://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/trudeau-government-issues-key-federal-permits-for-site-c-1.3700880

12) Radio-Canada, préc., note 6.

13) « Fully Adopting UNDRIP: Minister Bennett’s Speech at the United Nations », (2016), Northern Public Affairs, [en ligne] : http://www.northernpublicaffairs.ca/index/fully-adopting-undrip-minister-bennetts-speech/

14) Id.

15) R c. Van der Peet, [1996] 2 RCS 507.

16) Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 1010.

17) 2017 CSC 41

18) 2017 CSC 40


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