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Ulric Caron, du Comité Pro Bono

L’effort des automates



La suppression des distances ainsi que la facilité de communication et d’accès à l’information grâce à la technologie constituent quelques-uns des changements majeurs auxquels nous faisons face quotidiennement. L’ensemble de nos préoccupations se tourne peu à peu vers ces avancées exponentielles afin de faciliter nos vies au quotidien au moyen d’algorithmes. La prolifération des applications de tout genre, haut lieu de créativité à la résolution des tracas humains, témoigne de cette volonté de révolution constante derrière l’écran.


Les impacts technologiques ont transformé la justice en facilitant les échanges de documents, l’accès à l’information, la gestion de dossiers et bien d’autres tâches. Devant le problème majeur que traverse l’accès à la justice, le développement de la technologie et des moyens de communication apparaît comme un territoire à explorer afin de faire profiter au mieux l’ensemble des justiciables.


De nombreuses initiatives se penchent sur cette question et essaient au mieux de transformer le rapport entre le justiciable et le droit. Au niveau du langage juridique et de l’accès à l’information, des sites internet comme celui d’Éducaloi aident grandement à rendre ce langage accessible en offrant un portrait global sur une situation donnée. Des start-up émergent également pour favoriser l’accès à la justice : la création de la plateforme OnRègle qui offre un service juridique grâce à un principe de solutions standardisées permet de payer moins cher certains services d’un avocat.


Quant à l’appareil judiciaire, le Laboratoire de Cyberjustice de l’Université de Montréal est un véritable lieu de réflexion portant sur l’intégration de l’internet et de l’informatique vers les tribunaux et le règlement de certains litiges. Le Laboratoire permet d’éclairer les obstacles de l’intégration technologique dans les tribunaux, causés notamment par l’aspect rituel des procès ou par la nécessité de la présence physique et de documents le jour de l’audience.


Les plateformes en ligne, les applications ou les outils technologiques pourraient ainsi devenir des repères pour citoyens et organismes œuvrant dans le milieu communautaire afin de trouver aisément et à moindre coût une réponse à leurs questions juridiques. L’amoindrissement des frais des professionnels du droit par ces nouvelles méthodes pourrait ainsi aider ceux qui n’auraient normalement pas pu payer ces services. La facilité qu’offre la technologie pourrait même transformer de fond en comble la structure judiciaire traditionnelle, déjà face à certains changements notamment avec l’intégration du témoignage par téléconférence permis sous certaines conditions.

Vers ce chemin de la facilitation, nombreux sont ceux à remarquer une automatisation progressive du travail. Terrible cauchemar pour certains et espoir d’une libération de l’aliénation des tâches répétitives pour d’autres, le sujet divise. Selon un document préparé il y a quelques mois et présenté aux hauts responsables du ministère de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et du Travail, un nombre croissant de postes seront remplacés par des machines. L’économie canadienne pourrait perdre entre 1,5 et 7,5 millions d’emplois dans les prochaines années (1). Une estimation aux résultats très dispersés, mais dont la principale crainte sera la suivante : que faire après le remplacement par la machine? Le secteur manufacturier semble d’office le premier secteur où les effets de l’automatisation se ressentent. C’est d’ailleurs les ouvriers non spécialisés qui, selon les experts, en paieront le prix (2). Le secteur tertiaire est souvent le secteur oublié de cette automatisation, puisque beaucoup moins demandant physiquement ou répétitif en comparaison avec le secteur primaire ou secondaire.


Pourtant, selon Alexandre Désy, cofondateur de la plateforme OnRègle, « 90% du travail d’un avocat est automatisable » (3). Même si l’affirmation peut être contestable, le droit utilise en effet une logique qui lui est propre et un raisonnement très précis, appliquant le droit aux faits telle une formule mathématique. Cela peut s’illustrer d’ailleurs par le succès technologique qu’a offert en début d’année le logiciel juridique COIN, qui a permis en quelques secondes de faire le travail de plusieurs milliers d’heures réalisé par des avocats, et ce, avec moins ou tout simplement pas d’erreurs (4).


Considérer le travail comme aisément remplaçable par une machine remonte à bien avant l’arrivée d’internet. Jacques Vaucanson, inventeur français du 18e siècle, a provoqué une commotion philosophique lorsqu’il créa des automates capables de jouer de la musique. Quelques années plus tard, le philosophe Julien Offray de La Mettrie écrira « l’Homme machine », ouvrage très radical à l’époque portant sur le matérialisme. Pour lui, l’homme n’est qu’un automate, programmé, dont la matière n’est pas faite de boulons, métal et rouage, mais de sang, boyaux et organes. Considéré ainsi, tout travail serait aisément remplaçable par un robot, n’ayant que la matière comme différence avec les humains. Une approche qui, avec l’arrivée progressive de machines de plus en plus performantes, ne se présente plus comme une théorie farfelue dans une stricte logique de travail.


L’ultime standardisation du droit ne serait évidemment pas quelque chose de souhaitable. Le juriste n’est pas qu’une machine froide appliquant la loi devant une situation factuelle, mais plutôt un acteur primordial de l’environnement judiciaire apte à comprendre le monde par le droit et même, parfois, à le changer. La Justice ne peut remplacer la balance pour la calculatrice et ainsi n’être utile qu’à régler mécaniquement des litiges.


Dans un effort d’offrir la justice à tous, le juge en chef de la Cour supérieure a annoncé que les délais en matière criminelle depuis l’arrêt Jordan se réduisent progressivement, laissant ainsi plus de place à un autre enjeu de taille : le manque de ressources (5). La technologie pourrait devenir une opportunité inespérée et encore trop peu exploitée par les juristes pour développer de nouvelles avenues vers l’accès à la justice et atténuer le problème, mais elle ne doit pas pour autant remplacer le juriste dans le droit.



1) Jordan PRESS, « Les effets de la tendance à l’automatisation des emplois étudiés par le fédéral», (2017) La Presse, [en ligne] : http://affaires.lapresse.ca/economie/fabrication/201703/18/01-5079990-les-effets-de-la-tendance-a-automatisation-des-emplois-etudies-par-le-federal.php

2) Janic TREMBLAY, « L’inéluctable automatisation », Radio Canada, [en ligne] : http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1017247/automatisation-usine-spectra-premium-boucherville-travail

3) Anne GAIGNAIRE, « OnRègle révolutionne l'accès à la justice », Les Affaires, [En ligne] : http://www.lesaffaires.com/dossier/grands-du-droit-2017/onregle-revolutionne-l-acces-a-la-justice/595248

4) Hugh SON, « JPMorgan Software Does in Seconds What Took Lawyers 360,000 Hours», (2017), Bloomberg, https://www.bloomberg.com/news/articles/2017-02-28/jpmorgan-marshals-an-army-of-developers-to-automate-high-finance

5) Réné-Charles QUIRON, « Les délais judiciaires s'améliorent, mais rien n'est réglé », (2017) La Presse, [en ligne] : http://www.lapresse.ca/la-tribune/justice-et-faits-divers/201709/08/01-5131605-les-delais-judiciaires-sameliorent-mais-rien-nest-regle.php


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