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Ulric Caron, du Comité Pro Bono

100 ans de solitudes

100 ans de solitudes

Par Ulric Caron

« I should pay more tax » – Warren Buffet

« Payer ses taxes », trois mots qui embrasent le Québec, de Radio X à Radio-Canada. La fiscalité et ses épopées étalées sur la place publique n’ont rarement semblé autant d’actualité. La fiscalité apparaît alors comme cette main, juste et contributive, qui se doit d’aller chercher directement dans le portefeuille des contribuables la somme exacte servant à maintenir l’État providence. La polémique de la non-taxation de Netflix a enflammé le débat sur la taxation des entreprises étrangères, certes, mais surtout de la responsabilité de renvoyer une partie de ses richesses dûment recueillies vers l’État. Devant cette non-taxation, nombreux sont ceux à scander qu’il y a inégalité engendrée par cette décision, inégalité d’abord envers les autres entreprises, qui elles assument bien leur part. Pourtant, cette inégalité fiscale en cache bien d’autres, dont celle que peut engendrer malgré elle la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR).


Cette année, on entend murmurer dans les médias l’anniversaire des 100 ans de cette loi singulière, et qui nous semble pourtant éternelle. Une création enfantée dans la tourmente, servant d’abord à financer les efforts de la Première Guerre mondiale. À cette époque, les droits de douane, payés explicitement par le 1%, les plus riches, représentaient 47% des contributions de l’État, contre un fragile 2.8% provenant de ce nouvel impôt fédéral (1). L’avènement de l’État-providence a ancré la LIR comme un outil essentiel à l’établissement d’une structure financière plus solide, puisée à même du revenu des contribuables. Aujourd’hui, l’impôt sur le revenu contribue à hauteur de 51% du budget fédéral, avec 152 milliards par année (2). Depuis une centaine d’années, la loi a évolué, pour le mieux ou pour le pire.


Dans son ensemble, la LIR est un complexe assemblage juridique qui permet au contribuable de déduire ou d’inclure certains éléments à son revenu. Revenu qui, une fois filtré par plusieurs filets de déduction, se présentera devant le fisc comme le revenu imposable, donc le noyau duquel l’État pourra prendre la part qui lui revient. Pour la loi canadienne, une planification fiscale est légitime si bien que le contribuable a le droit à toute manœuvre légale de façon à payer le moins d’impôt possible (3). Un principe qui, malgré ses intentions louables, trouve dans un État grandement financé par l’impôt sur le revenu des dérives qui retire du droit le concept de conduite éthique.


De 1955 à 1971, le taux d’imposition combiné du fédéral et du provincial étaient à son plus haut pouvait atteindre 82 % et s’appliquait lorsque des contribuables gagnaient à partir de l’équivalent actuel de 2,5 millions de dollars (4). Aujourd’hui, il s’agit d’un taux bien inférieur, soit 62% de taux d’imposition marginal maximal, et ce, à partir de 361 000 $. Rajoutons à cela que la LIR a déjà compté 25 paliers d’impositions, contre 8 aujourd’hui, une contribution donc plus adaptée à chaque couche de revenus. D’autres facteurs attachés à la LIR, notamment la diminution de son revenu en empruntant la forme de gains en capital ou de dividendes permet aussi de profiter d’autres avantages fiscaux (5). Ces éloignements progressifs de taux d’imposition élevé des plus riches amènent inévitablement les contribuables de la classe moyenne à encaisser à plus forte mesure le fardeau fiscal.


Que les plus riches paient plus d’impôts car ils ont plus de revenus appartient à une conception de l’État comme protecteur des citoyens en situation de précarité. Protection défendue par le bras fort du droit et des lois. Rousseau en écrivait déjà les prémisses dans sa théorie du contrat social : « Si l’État ou la Cité n’est qu’une personne morale dont la vie consiste dans l’Union de ses membres […] il lui faut une force universelle et compulsive pour mouvoir et disposer de chaque partie de la manière la plus convenable au tout.» (6) Cette force, c’est bien ici la justice, qui se doit de disposer de chaque catégorie de contribuable dans un taux d’imposition convenable, au regard des besoins sociétaux, car la chance n’est pas distribuée équitablement.


Dans un contexte de mondialisation financière et industrielle, l’évitement fiscal, en plus des inégalités provoquées par la LIR, expose l’État à sa lutte bipolaire. Le premier responsable de l’appauvrissement de notre société ne serait-il pas l’État lui-même, car possédant le pouvoir de modifier la LIR, mais permettant aussi des pratiques d’évasion fiscale (pensons notamment à l’exemple flagrant de l’entente de non double imposition signée entre la Barbade et le Canada)?


Rares sont les justiciables qui remarquent les rouages du droit ou qui vivent bien consciemment de plein fouet ses effets au quotidien. Par contre, la fiscalité est omniprésente et s’incarne dans les gestes les plus anodins des justiciables. La justice s’évade ici de la Cour et atterrit dans nos rapports d’impôt, le juge se soustrait à la calculatrice et c’est sous le coup de la LIR que l’État doit gérer une grande partie de la distribution de ses fonds entre chacun de ses services publics. L’impôt est essentiel à son bon fonctionnement, particulièrement ici, où le Québec, en proportion du PIB, utilise davantage l’argent provenant de l’impôt qu’ailleurs dans le monde (7).


Le problème n’est peut-être pas l’inégalité en soi, inhérente à toute société, et sûrement de façon plus globale à la vie elle-même, mais plutôt l’ultime richesse des mieux nantis contre la pauvreté nauséabonde de certaines catégories de citoyens. En présentant l’exemple américain, l’économiste français Thomas Piketty a relevé que les hauts taux d’imposition de la première moitié du 20e siècle prévenaient les grandes inégalités sur le long terme. À partir de 1980 et de l’abaissement du taux d’imposition, la part du revenu national revenant au fameux 1% a drastiquement augmenté. L’inégalité financière, lorsqu’indécente, se traduit alors en un malaise de société sérieux, bien loin du cuir du portefeuille pour devenir un problème politique et moral.


Le droit engendre ici une inégalité timide et un problème brûlant de justice, loin de tout symbole, envahissant à la fois la sphère idéologique, politique et juridique. La section Pro bono de l’Université de Montréal permet aux étudiants bénévoles de relever ces situations troubles du droit.


L’impôt est en effet bien plus qu’une contribution, il assure la transparence de toutes les catégories de citoyens au sein de la démocratie. Ne pas payer une part suffisante d’impôt, profiter des lois pour se soustraire à l’éthique dans un environnement où la justice ne s’abreuve plus auprès de la Justice renvoie l’État à un ensemble isolé de plusieurs citoyens, qui, par hasard, habite sur la même parcelle de terre. Payer ses impôts devient un exercice de solitude où l’on doit au mieux s’extirper de la réalité collective de la société, pour n’être que seul avec soi-même, et ses revenus bien sûrs.

Sources

(1) Luc GODBOUT, Regard sur les 100 ans de la Loi de l’impôt sur le revenu, Rapport de la Chaire de recherche en fiscalité et finances publiques, 2017, p. 32, [en ligne] : https://cffp.recherche.usherbrooke.ca/wp-content/uploads/R2017-05_Regard-sur-les-100-ans-de-limpôt-sur-le-revenu.pdf (consulté le 19 octobre 2017)

(2) Éric DESROSIERS, « Au temps où le fisc faisait payer les riches », (2017), Le Devoir, [en ligne] : http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/509533/l-impot-canadien-centenaire-et-inequitable (consulté le 19 octobre 2017)

(3) IRC c. Duke of Westminster, [1935] 19 T.C. 490.

(4) É. DESROSIERS, préc., note 2.

(5) Éric DESORISERS, « Inégalités fiscales », (2017), Le Devoir, [en ligne] : http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/510384/perspectives-inegalites-fiscales (consulté le 19 octobre 2017)

(6) Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, Paris, Flammarion, 1992, p. 55.

(7) Luc GODBOUT, Regard sur les 100 ans de la Loi de l’impôt sur le revenu, Rapport de la Chaire de recherche en fiscalité et finances publiques, 2017, p. 32. [En ligne] : https://cffp.recherche.usherbrooke.ca/wp-content/uploads/R2017-05_Regard-sur-les-100-ans-de-limpôt-sur-le-revenu.pdf (consulté le 19 octobre 2017)

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