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Camille Beaudry

Soulignons la journée internationale des erreurs judiciaires sans omettre ses lacunes!



Pour la troisième année consécutive, le 2 octobre dernier fut souligné fièrement par le Canada en tant que journée internationale des victimes d’erreurs judiciaires, mais concrètement, qu’en est-il des mesures préventives, mais surtout réparatrices mises en place par notre appareil judiciaire afin de pallier à ces erreurs?


Revenons sur un cas récent que vous avez peut-être entrevu sur la sphère médiatique, soit celui d’Ivan Henry, un canadien accusé à tort de multiples agressions sexuelles en 1983. Heureusement déclaré innocent en 2010 après avoir passé vingt-sept longues années derrière les barreaux à tenter de se faire entendre, ce n’est qu’en juin 2016, près de six autres interminables années à se débattre avec la justice, qu’il fut finalement indemnisé à hauteur de huit millions de dollars. À première vue, ce montant semble suffisamment copieux pour oublier les dommages que notre système lui a fait endurer. Cependant, est-ce que trente-et-une années perdues peuvent réellement être réparées avec quelques morceaux de papier, sans négliger le préjudice moral subi, le regard péjoratif de la société, la perte de son entourage, la réinsertion périlleuse dans la société et le marché du travail actuel, l’impact du système carcéral et j’en passe.


Pensons également à tous les autres Canadiens qui ont clamé au fil des ans leur innocence, emprisonnés dans une cellule poussiéreuse sans n’avoir eu d’oreilles attentives. Nommément l’affaire Marshall, un homme accusé faussement en 1971 du meurtre d’une femme dû à une enquête négligée du début jusqu’à la fin lui faisant purger alors onze ans de sentence. Rappelons-nous aussi le cas québécois médiatisé Proulx c. La Reine, arrêt clé en matière d’immunité relative de la Couronne et d’identification visuelle erronée, inculpant de meurtre Benoît Proulx en première instance, jugement pourtant renversé en Cour d’appel, mais qui a certainement entaché sa réputation à tout jamais en raison de propos péjoratifs irréparables à la radio de sa région natale. N’oublions pas Wilfred Truscott, Guy Paul Morin, David Milgaard, Steven Truscott, Simon Marshall et tous les individus dont des années, des réputations, des amis, des emplois furent arrachés de leurs mains au profit d’une « justice » bien injuste.


Dans le cas d’Ivan Henry, le juge l’indemnisant en 2016 a estimé que si certains éléments de preuve avaient été présentés au procès tels que des témoignages, des relevés d’empreintes digitales ou encore divers objets, il aurait probablement été acquitté en 1983, lui épargnant ainsi vingt-sept années à maudire ce système. Les raisons ayant mené à l’incarcération d’Ivan Henry étaient toutefois hors du contrôle de l’État à l’époque en raison de l’avancée scientifique bien loin de ce que nous connaissons aujourd’hui. Cependant, ce que j’essaie de pointer du doigt n’est pas les causes menant à des condamnations injustifiées qui peuvent découler de trop de facteurs nommément des enquêtes bâclées, une mauvaise divulgation de la preuve, des faux témoignages, une mauvaise identification par témoins oculaires, l’insuffisante ou la présentation inadéquate d’une affaire portée en appel, et plus encore. Cette multitude d’éléments déclencheurs découle principalement des agents de l’État ou est liée à la nature humaine dont on ne pourra jamais exiger la perfection. C’est pourquoi il m’est impossible de condamner les erreurs judiciaires produites par le passé et qui se reproduiront probablement dans le futur dont on ne peut contrôler et exiger une absence totale. En effet, le fardeau de la preuve en matière pénale d’hors de tout doute raisonnable est déjà un pas colossal afin d’éviter l’inculpation d’innocents. Ce que je condamne aujourd’hui est la complexité du processus de révision canadien d’une décision et l’insuffisante indemnisation accordée aux victimes qui ont déjà souffert par l’injustification de leur sentence.


Conséquemment, je trouve profondément ironique et désolant d’exiger à une victime d’erreur judiciaire ayant déjà souffert injustement d’années d’emprisonnement, ayant finalement réussi à obtenir un jugement d’innocence, de devoir encore et encore se débattre devant nos tribunaux afin, à la suite d’une longue bataille juridique, de prouver qu’il mérite d’obtenir quelques sous à titre d’indemnisation. Au Canada, il existe deux différents mécanismes de révision d’une décision, c’est-à-dire les deux moyens permettant de rouvrir un dossier et ainsi s’exonérer : (i) la réouverture d’un dossier en appel et (ii) la demande de révision au ministre de la Justice. La réouverture du dossier comporte de nombreuses spécificités rendant le processus complexe, nommons d’abord les délais pour aller en appel. Le délai bien court de trente jours pour interjeter un jugement en appel n’englobera jamais la personne croupissant derrière les barreaux qui clame avoir une preuve nouvelle pour établir la véracité de ses prétentions. Il est certes possible de proroger ce délai, mais encore une fois, les exigences attendues sont difficiles à combler, comme il l’est pour les motifs d’appel restreints ou l’admission de preuves nouvelles également assujettis à des contraintes. Sans rentrer dans les détails nébuleux de la seconde procédure permettant de s’exonérer, il demeure que par le passé, rares sont les demandes accueillies. Non seulement les critères sont stricts, mais le processus est long et coûteux.


Une fois ce stade surmonté, il est normal qu’une victime cherche à obtenir indemnisation. Le Pacte relatif aux droits civils et politiques, adopté par les Nations Unies en 1966, vient affirmer l’importance d’indemniser ces personnes. Au Canada, ce n’est qu’en 1976 que le Parti Québécois ratifiera ce pacte. En 1988, nos gouvernements ont pensé des lignes directrices pour ventiler les dommages accordables et les critères d’admissibilité. Cependant, aucune autre mesure telle que les procédures nécessaires ou encore législatives afin de les mettre en œuvre en droit interne canadien ne fut élaborée à ce jour. En effet, une déclaration de culpabilité ne donne pas automatiquement droit à une indemnisation, à moins que la personne intente une action civile pour faire valoir la réparation. Encore faut-il que la personne entreprenne elle-même un autre recours afin de prouver ses droits toujours présumés violés. La Cour suprême dans l’arrêt Hinse c. Canada (Procureur général) en 2015 a d’ailleurs affirmé que rien ne liait les gouvernements fédéraux ni provinciaux d’indemniser une victime d’erreur judiciaire puisqu’aucune loi n’établissait ce droit. Dans cette même décision, elle évoque les lignes directrices en précisant qu’un pardon absolu ou une annulation de verdict de culpabilité ne sont pas suffisants en soi et qu’il est nécessaire d’avoir obtenu une déclaration d’innocence. À quoi bon la simple ratification du pacte par le pouvoir exécutif si les lignes directrices élaborées n’ont aucune force exécutoire devant les tribunaux? Ne serait-il pas temps d’obtenir une réforme de ces lignes afin d’incorporer un régime plus accessible pour une personne déjà victime du système alors que l’accessibilité est supposée être actuellement au cœur de notre système légal québécois?


Je tiens toutefois à souligner certains organismes qui viennent en aide aux victimes durant tout le processus notamment l’organisme à but non lucratif Association in Defence of the Wrongly Convicted ayant aidé depuis sa création en 1993 plus d’une centaine de causes. Fièrement, je mentionne également le Projet Innoncence institué dans plusieurs universités y compris l’Université de Montréal (oui oui!) sensibilisant le public sur le sujet.


Certes, je suis consciente qu’aucun système n’est parfait et qu’il est utopique de penser qu’il le sera un jour, mais en tant que futurs juristes ou toute autre profession que vous aurez la chance d’exercer, j’espère avoir réussi à vous ouvrir les yeux sur une situation trop méconnue à mon goût afin d’aspirer un jour à l’amélioration de ces déficiences, puisqu’un tel vide juridique sur cet enjeu ne doit plus être toléré.

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