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Laura Bonnet et James Patrick Cannon

L'opération droits blindés: pour l'arrêt de la vente de véhicule blindés par le Canada à l&#



L’Arabie saoudite est réputée comme étant un des pays les moins respectueux des droits de la personne. Les femmes n’ont aucune protection et se trouvent, selon Human Rights Watch, dans une situation identique à celle d’un mineur. La communauté LGBT est persécutée, un acte homosexuel peut entraîner la lapidation, une peine de prison ou encore la peine de mort. L’Arabie saoudite est reconnue pour la sévérité de ses châtiments, la présomption d’innocence n’existe pas et fait place à la présomption de culpabilité, le droit à l’avocat n’en est pas un, la torture est utilisée pour obtenir des aveux. Les organisations non gouvernementales comme Amnistie internationale et Human Rights Watch ont condamné ce système. En ce qui concerne la liberté d’expression, aucun texte de loi ne la protège. La presse est très contrôlée, la censure saoudienne est considérée comme l’une des plus répressives au monde. Les manifestations publiques sont aussi interdites. Il est interdit de critiquer le gouvernement, l’islam ou la famille royale. Enfin, la liberté de religion n’existe pas. Aucune religion autre que l’islam sunnite ne peut être pratiquée en Arabie saoudite, les minorités chrétiennes et chiites sont alors systématiquement discriminées. De plus, la conversion d’un musulman à une autre religion est passible de la peine de mort.


Toutefois, l’Arabie saoudite ne s’est pas arrêtée à la violation des droits de la personne de sa seule population. En effet, depuis 2015, le Yémen est victime de ce que l’Organisation des Nations unies (ONU) a qualifié être « la plus grande crise humanitaire au monde ». [1] La coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite mène une guerre meurtrière au Yémen. Le Yémen est en proie à une campagne dévastatrice de bombardements aériens qui n’ont pas épargné les infrastructures civiles comme les écoles, ou même les hôpitaux et autres centres de santé. En 2017, l’ONU estimait que le conflit avait coûté la vie à environ 7 700 personnes, principalement des civils, et blessé plus de 40 0000 personnes. Le blocus mis en place par cette même coalition empêche la population yéménite d’avoir accès à l’aide humanitaire, le Yémen étant pourtant dépendant à 90% des importations. Leurs conditions de vie étant au plus bas durant cette période de guerre, le Yémen fait maintenant face à une épidémie de choléra qui est estimée avoir touché près d’un million d’habitants selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). [2] La réaction de la Communauté internationale a été qualifiée de « honteuse » et « cynique », et cette guerre, de « guerre oubliée » par Amnistie internationale. [3]


En effet, des contrats sur la vente de matériel militaire à l’Arabie saoudite ont continué d’être conclus, malgré la campagne brutale menée par cette dernière au Yémen. Un de ces plus larges contrats implique le Canada. Le contrat remonte au mois de janvier 2014, lorsque le ministre du Commerce international de l’époque, M. Ed Fast, annonce la conclusion d’un contrat d’une valeur de 14 milliards de dollars entre la Corporation commerciale canadienne et l’Arabie saoudite pour l’achat de véhicules blindés légers (VBL) dont la production est confiée à la filiale canadienne de la multinationale américaine General Dynamics.


Conclu sous le gouvernement conservateur de Stephen Harper, le contrat reçoit l’aval du gouvernement libéral actuel en avril 2016 lorsque l’ex-ministre des Affaires étrangères du Canada Stéphane Dion autorise la délivrance de six permis d’exportation en application de l’article 3 de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation (LLEI). [4]


C’est dans ce contexte que le professeur de droit Daniel Turp, appuyé d’une trentaine d’étudiants et d’étudiantes de l’Université de Montréal, met sur pied l’Opération Droits Blindés à l’hiver 2016. L’initiative a initialement pour but de faire empêcher la délivrance des licences nécessaires à l’exportation des véhicules fabriqués par la filière canadienne de la société General Dynamics Land Systems (GDLS-C). À cette fin, une demande de contrôle judiciaire est déposée à la Cour fédérale du Canada le 21 mars 2016. La demande est amendée à la suite de la décision du ministre Dion d’autoriser la délivrance des licences, cette fois pour demander l’invalidation de cette décision et l’annulation des licences.


L’argument principal sur lequel la demande de contrôle judiciaire veut que le gouvernement canadien, en autorisant des exportations de matériel militaire à un pays malgré le risque raisonnable que ce matériel soit utilisé par le pays destinataire contre sa population ou contre des civils dans le cadre d’un conflit armé, contrevienne aux Lignes directrices sur les exportations de matériel militaire adoptées par le gouvernement du Canada qui doivent être tenues en compte dans l’interprétation de la LLEI. La demande est également fondée sur l’argument additionnel selon lequel il y aurait un risque raisonnable que les véhicules blindés exportés par le Canada en Arabie saoudite puissent être utilisés au Yémen et que pourrait en découler une violation par le Canada de son obligation de faire respecter par l’Arabie saoudite les obligations qui lui incombent en vertu du droit international humanitaire et de respecter sa propre Loi sur les Conventions de Genève. [5]


Le 24 janvier 2017, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle, estimant que le ministre avait considéré les facteurs pertinents dans son évaluation des risques pour les populations civiles et qu’il avait pris une décision conforme à son large pouvoir discrétionnaire. Le jugement a été porté devant la Cour d’appel fédérale et l’audition d’appel a eu lieu au mois de décembre dernier.


Après la diffusion sur les réseaux sociaux de photos et vidéos montrant l’armée saoudienne réprimant des membres de sa minorité chiite, The Globe and Mail rapportait en juillet dernier que les véhicules blindés utilisés par l’armée saoudienne lors de ces évènements étaient construits par une la compagnie ontarienne Terradyne Armoured Vehicles. Une deuxième demande de contrôle judiciaire a été déposée le 21 septembre 2017 par le professeur Turp en Cour fédérale. Cette nouvelle preuve est particulièrement importante puisqu’elle est susceptible d’écarter l’argument voulant que « [le] fait qu’il n’y ait eu aucun incident impliquant des VBL dans la violation des droits fondamentaux en Arabie saoudite depuis le début de la relation commerciale entre ce pays et le Canada » démontre qu’il n’y pas de risque raisonnable que l’exportation de véhicules puisse entraîner des violations des droits de la population civile. [6] Ainsi, cette deuxième demande de contrôle judiciaire porte non pas sur l’autorisation initiale d’octroyer des permis, mais plutôt sur le refus de la ministre de suspendre ou d’annuler ces permis à la lumière de ces nouveaux faits.


Dans le cadre de cette deuxième demande, une première victoire a été remportée le 9 janvier 2018 lorsque le juge Luc Martineau de la Cour fédérale a rejeté une requête en radiation de cette nouvelle demande de contrôle judiciaire. Pour le juge, la survenance de nouveaux faits et l’existence d’une nouvelle cause d’action invalidèrent les prétentions de la ministre voulant que cette demande soit redondante et vouée à l’échec.


C’est à la lumière de ces plus récents développements qu’un nouveau groupe de 40 étudiants et étudiantes a été constitué pour continuer l’initiative Opération Droits blindés au mois de janvier dernier. Au moyen de demandes d’accès à l’information, de recherches comparatives sur la suspension ou l’annulation de contrat d’armes par d’autres pays, une analyse du premier jugement de la Cour fédérale et des demandes d’interventions auprès d’ONG, ce groupe épaule le Professeur Turp et Mes Anne-Julie Asselin et André Lespérance qui agissent à titre pro bono dans ce dossier.


Le Canada pourrait ainsi suivre l’exemple de pays comme la Suède, la Norvège, les Pays-Bas et l’Allemagne, qui ont récemment revu leurs politiques d’exportations d’armes à l’Arabie saoudite et à certains autres pays impliqués dans le conflit au Yémen.


Dans une allocution donnée le 8 février 2018, la ministre Chrystia Freeland a annoncé que les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada, dans le cadre d’une enquête sur les informations révélées par The Globe and Mail l’été dernier, « n’avait trouvé aucun élément de preuve démontrant que des véhicules fabriqués au Canada ont été utilisés dans le cadre de graves violations des droits de la personne », sans vouloir rendre public le rapport d’enquête. Si elle a exprimé vouloir que le Canada se soumette à des normes plus exigeantes en matière d’exportation de marchandise contrôlée à l’avenir, elle a également voulu mettre au clair que, par principe [nos soulignements], « le Canada honorera les contrats existants dans la mesure du possible. » [7] Il est bien beau pour la ministre de parler de principes ; sauf qu’en l’occurrence, le principe du respect des engagements contractuels se fait au détriment du respect des droits fondamentaux de la personne.


Si vous aussi vous vous attendez à ce que le gouvernement canadien respecte ses engagements internationaux de manière à prioriser les droits fondamentaux au-delà de ses intérêts commerciaux, joignez-vous aux membres de l’Opération Droits Blindés le 13 mars 2018 à 16 h au Café Acquis de droit, où vous en apprendrez davantage sur l’Opération et le travail effectué par ses membres.



Sources: [1] La Presse canadienne, « Yémen, l’ONU réclame une pause humanitaire », Radio-Canada, 4 décembre 2017.

[2] La Presse canadienne, « Le choléra, un véritable fléau au Yémen », Radio-Canada, 21 décembre 2017.

[3] Amnistie internationale, « Yémen. La guerre oubliée » ; Amnistie internationale, « Yémen. Une réaction internationale profondément cynique et honteuse », 22 mars 2016.

[4] L.R.C., 1985, c. E. 19.

[5] L.R.C., 1985, c. G-3.

[6] Daniel Turp c. Ministre des Affaires étrangères, 2017 CF 84, par. 45.

[7] Affaires mondiales Canada, « Allocution de la ministre des Affaires étrangères, l’honorable Chrystia Freeland, devant le Comité permanent des affaires étrangères et du développement internationale », 8 février 2018, Ottawa.


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